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Turquin Noémie


Pilule Rose

Pilule Rose 

Je la vois je la regarde je l’observe. Elle est là elle a toujours été là depuis mon premier jour dans cet endroit. Son parfum de fraise artificielle me monte au nez ne me quitte plus m’enivre s’accroche à mon odorat m’étouffe. J’ai souvent résisté essayer de résister le plus possible ne pas la prendre ne pas choisir la facilité tenir bon même si cela m’approchait chaque jour et toujours plus de la folie. Ce n’est pas la première fois que je ne la prends ni la dernière même si j’essaye de men convaincre. Elle ne m’apporte pas ma délivrance juste un soulagement passager comme une brise d’air frais dans un nuage de pollution la douleur est pis après. Plus le temps passe plus je me perds plus le temps passe plus je me raccroche au vide plus je me noie plus je pense qu’elle me sauvera qu’elle sera ma bouée et plus je perds cette bataille contre moi-même et contre tous. Je n’en peux plus déjà je perds à nouveau le contrôle déjà je me sens emporté dans une vague de douleur et de souffrance les souvenirs entassés se rebellent ils veulent que je les voie que je les écoute ils me poussent au bord vers l'abîme de ma conscience ils me torturent un tsunami issu de ma mémoire mon inconscience veut m’arrêter mais trop tard je la tiens dans le creux de ma main elle semble si petite si fragile je pourrais la réduire en poussière sous mes pieds nus soufflé sur ses cendres roses les dispersés aux quatre cent milles coins du monde de mon monde qui se limite à ici cet endroit j’ignore s'il existe d’autres endroit dans l’univers que cette cellule blanche j’ai oublié il fallait oublier il fallait que j’oublie pour ne pas me perdre encore plus le tsunami reviens vague géante mes souvenirs affluent trop vite trop beaucoup trop la douleur explose en moi en mon crâne une lumière vive trop claire trop lumineuse tout mon être tente de résister mais trop tard elle est déjà en bouche. Pilule Rose.  Je la croque son faux goût de fraise ou de framboise se déverse dans ma bouche faisant affoler mes papilles je ferme les yeux je bascule je tombe j’attends 

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renaître  

J’ouvre les yeux. Je suis dans la mer. Dans l’océan. L’eau est sans profondeur. Elle reflète la couleur du ciel. Rose. Je reste là. Quelque instant. Allonger dans l’eau. Les yeux tournés vers le ciel. Je vois. La lune. Elle est pleine. Elle est rose. Jupiter se cache. Les nuages de barbe-à-papa flottent. Je sens des vaguelettes contre ma peau. Le soleil rose illumine. Pas d’oiseaux, pas de vie. J’ai froid. Je me lève. L’eau coule de mes cheveux. Le long de ma nuque. Le long de mon dos. Le long de mes bras. Le long de mes jambes. Tombe dans l’eau. En silence. Je n’ai plus froid. L’air est chaud. Le vent est frais. L’eau est douce. Une music se lève. Elle m’appelle.  Je regarde. Elle vient de là-bas. De la plage de sable fin. Couleur rose. Sur la plage, des palmiers. Roses. Derrière la plage, une route. Derrière la route des bâtiments. Grands, beaux, riches. Roses. La music est vivante. Elle me rappelle. Me fait me souvenir. Elle vient de ma mémoire. Je l’ai déjà entendue. Avant. À la radio, il y a longtemps. Music pop. Elle vient de la plage. Je veux y aller. Aller la retrouver, la rejoindre. Danser avec elle. Je marche. Doucement dans l’eau rose. Sans bruits. L’eau goutte encore de mes cheveux. Tombe dans l’eau. Forme des cercles infinis et silencieux. Je marche. La plage se rapproche. Les palmiers aussi. Le sable fin ressemble à du plastique. Rose. C'est fantastique. Je sors de l’eau. Les vagues clapotent. Un doux murmure d’écume. Rose pâle. Le soleil rayonne. Lumière rosée. Réchauffe ma peau. Nue. Je remarque ma nudité. Je sens de la gêne. Je voudrais du tissu pour couvrir mon corps. Vœu exaucé. Une paire de sandales. Un drap autour de mes hanches. Une chemise hawaïenne. Rose. Des fleurs autour de mon cou. Je souris. Klaxon. Grand bruit de klaxon. Je lève la tête. Sur la route. Décapotable rose. Cabriolet rose.  Nouveau bruit de klaxon. Jeunes gens. Ils sont quatre. Deux hommes et deux femmes. Dans la voiture. Ils me font signe. Les rejoindre. Les filles sont belles. Longs cheveux soyeux, corps de rêves, poitrines développées. Le tout dans une robe moulante et courte. Rose. Les gars sont beaux.  Chemise entrouverte, pectoraux et abdominaux. Sourires séducteurs, corps de surfer, musculatures développées. Nouveau bruit de klaxon. Ils me font signe. Je souris. Je marche vers eux. Vers la music. Je les rejoins. La musique vient de la voiture. Ils me font une place. Je m’assois. Je prends place dans la voiture. Les filles gloussent. L’homme sur la place du mort me fait un clin d’œil. Je ris avec eux. Le conducteur augmente le volume de la music. Nous démarrons en trombe. Nous roulons, roulons, roulons. Le long de la plage qui n’en finit pas. Le long des palmiers roses. Le long du boulevard. De ses hôtels, de ses casinos, de ses cafés, de ses bars. Nous rions. Nous roulons. Nous sommes jeunes et nous sommes beaux. Et j’oublie. Je me noie de joie. J’exulte ! Je jubile ! Je jouis ! Mais la voiture s’arrête. Devant le tapis rose d’un casino (ou un hôtel ?). L’homme sur la place du mort descend. Me fait un clin d’œil. Les filles gloussent. Il ouvre la portière. Les filles sortent de la voiture et lui tombent dans les bras. Le conducteur arrive et me prend par la main. Sourire charmeur. Clin d’œil ravageur. Baisemain séducteur. Je souris. Il ne lâche pas ma main et me guide. Il devient mon amant. Nous entrons dans le casino (ou l’hôtel ?) Une foule de jeunes gens. Elle nous accueille dans des cris de joies. La foule nous salue avec enthousiasme, nous acclament, nous adule. Mon amant me guide plus loin. Vers le bar. Attrape deux cocktails roses et m’en tend un. Je le prends. Je bois une gorgée. Un faux goût de fraise ou de framboise. Je souris. Nous allons vers la salle de jeux. Rempli de lumière, de clignotement, de bruit de machines à sous, de sons de sous tombant par millier. Les autres occupants de la voiture y sont aussi. L’homme de la place du mort vient de gagner à un jeu. Les filles gloussent et rit. L’homme rit et lance ses billets en l’air. Pluie de sous tombants. Des billets roses volettent partout.  Tout le monde cri de joie et rit. Le champagne coule à flot. Un champagne rose, sucré, enivrant. Nous triquons et buvons. Le champagne a un faux goût de fraise ou de framboise. Cul-sec. Je suis ivre. Je ris à gorge déployée. Mon amant m’entraîne vers la piste de danse. La musique y est plus forte. Je me mets à danser. Les bras en l’air. Les hanches se balancent au rythme de la musique. Et j’oublie. Et je jubile. Mon amant danse avec moi. Il pose ses mains sur mes hanches. Je place mes mains autour de sa taille. Il m’embrasse. Un faux goût de fraise ou de framboise. Je m’en fiche. Je danse. Il danse. Nous dansons. Il m’embrasse à nouveau. J’arrête le baiser. Un faux goût de fraise ou de framboise me rappelle quelque chose. Je ne veux pas me souvenir. Je m’efforce d’oublier. Je m’en fiche. Je danse. Mon amant s’en vas. Ce n’est plus mon amant. Je danse. La musique bat de son plein. Le champagne rose coule à flots. Et je danse. Et j’oublie. Une femme me rejoint. Danse avec moi. Cheveux blonds. Yeux bleus. Californian girl. Poitrine large. Taille de guêpes. Corps de rêve dans une robe de soirée à paillettes roses. Je la connais. C’est Miss B.  Reine rose. Rêve rose.  Elle devient mon amante. Comme à chaque fois. Elle glisse une main derrière mon dos. Une autre sur mes hanches. Elle me tire vers elle. Colle son corps contre le mien. Je mets mes bras autour de sa taille. Elle sourit. Jeu de séduction.  Je le connais par cœur. Toujours le même. Je connais chacune de ses avances. De ses tentatives fructueuses. Fantasmes réels, devenus réels dans cette réalité.  Nous sortons de la pièce. Ou alors le décor change. Je ne sais jamais. Une chambre. Rose. Lit double. Rose. Lumière. Rose. Miss B enlève sa robe. Rose. Mes vêtements. Roses. Miss B souris. Lèvres. Roses. Baiser. Rose. Peau contre peau. Corps contre corps : douceur, plaisir, érotisme. 

orgasme 

effondrement 1.0 

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effondrement 2.0 

Je me retrouve dans la rue. Rose. Cette même route. Rose. Cette même plage. Rose. Cette même mer. Rose. Ces mêmes palmiers. Roses. Ces mêmes bâtiments. Roses. Cette même voiture. Rose. Garée devant ce même casino (ou hôtel ?). Rose. Je marche vers l’entrée. Rose. Personne. Silence. Rose. Je m’approche des portes. Roses. Je les pousse 

effondrement 2.1  

Le bâtiment tombe.  

effondrement 2.2 

Le bâtiment est en carton, rose. 

effondrement 2.3 

Derrière le bâtiment le monde n’est pas rose.  

effondrement 2.4 

Le monde est un désert blanc. 

effondrement 2.5 

Le ciel du désert n’est pas rose. Le ciel est bleu. 

effondrement 2.6 

Un château de cartes roses s'effondre. Les bâtiments tombent en silence.

effondrement 2.7 

Le vent se lève. Le désert blanc bouge.  

effondrement 2.8 

Le désert blanc se soulève, se rebelle, se transforme. Il se lève et devient un tsunami blanc. Il se jette sur le monde rose, engloutit tout sur son passage, ravage tout. Il détruit, déconstruit, remplace le sable rose de la plage par du sable blanc. Le blanc noie le rose sous un ciel bleu. La vague blanche m’attrape aussi, m’engloutit, m’avale, me remplit les yeux de lumière blanche. Je veux crier, mais ma bouche est remplie de sable blanc. Je ne peux pas respirer. Je ne peux plus oublier. Et je me souviens.  

effondrement 2.9 

Mon monde n’est pas un paradis rose. Mon monde est une cellule blanche.  

effondrement 3.0 

Je me réveil.  

Apocalypse now  
Apocalypse now  

Apocalypse now 

Apocalypse now 

Apocalypse now 

Apocalypse now 

J’ouvre les yeux. Je ne suis plus dans un monde aux mille nuances de roses. Je suis dans un flash de lumière blanche, dans une pièce remplie de miroir. Je suis par terre. Je suis de retour dans ma cellule blanche. J’ai quitté le monde parfait et rose de Miss B. Je ne sais pas combien de temps mon escapade à durer. Il n’y a aucun de repère temporel ici. Enfin peut être. Si on compte les plateaux-repas qui me sont apportés régulièrement. Enfin je crois régulièrement.  

D’ailleurs il y en a un, près de la porte de fer blanche. La porte est quasiment invisible, uniquement au toucher on remarque un changement. La texture des murs y est différente. J’entends mon ventre se plaindre de la faim. Je me lève. Tout mon corps me fait mal. Chacun de mes membres sont ankylosés. Je m’assois en face du plateau et je commence à manger. Avec les doigts. Je n’ai plus le droit aux fourchettes et au couteau depuis que j’ai essayé de me suicider. La nourriture n’a aucun gout. Mais c’est de la nourriture quand même. Il y a aussi un grand verre en plastic rempli d’eau. Je la bois d’une traite. Son goût, légèrement amer, me révèle qu’ils doivent y avoir mis un produit. Sans doute un calmant, ou du somnifère. Je souris à l’idée que cela puisse être du poison, mais je sais que cela n’est qu’un vain espoir. Ils veulent me garder en vie. S’ils me tuent, ils ne pourront plus me torturer, et s’ils ne pourront plus me torturer, ils n’auront plus le plaisir de me voire souffrir. Je le sais. 

J’aime bien ces quelques minutes de clarté, de conscience pleine et entière, après que la pilule a cessé de faire effet et avant que le manque ne se fasse sentir. J’aime bien sentir le pouvoir de la connaissance, j’aime être conscient de leur plan. J’ai l’impression, ou l’illusion d’enfin contrôler quelque chose, même si cela est futile. J’en profite pour réfléchir, à tout et à rien. Pas de réflexions métaphysiques, non, des réflexions plus simples. J’en profite juste pour faire un point sur ma situation. Enfin il n’y a pas grand-chose à dire. Je ne peux pas partir d’ici. J’ai essayé de nombreuses fois au début. Les premières semaines (ou mois ?) de ma présence ici. J’aime juste l’idée que la pilule qu’ils me donnent m’aident à réfléchir. J’aime l’idée qu’au fond je pourrai peut-être l’utiliser contre eux. Au final, cela ne change rien, je sais que je perdrai. Cette pilule rose est puissante. Je souris pathétiquement à la pensée d’arrêter de la prendre. C’est trop tard. J’y suis accro. Je ne peux plus arrêter. En la prenant la première fois, j’avais déjà perdu. Et maintenant... 

Je la vois, je l’observe, je la regarde. Elle est là comme toujours. Cette mignonne pilule rose. Dans le coin droit de mon plateau. Juste à côté du verre en plastique. Ils me l’apportent toujours en même temps que mon plateau-repas. Le manque commence à se faire sentir. Je commence à le réaliser. Je commence à rire. Je commence à hurler de peur. Je sens mes angoisses et souvenirs s’entasser dans un coin de ma conscience prêt à déferler prêts à s’abattre sur moi.  Et je sais qu’à nouveau je vais tenter de résister et je sais qu’à nouveau je vais craquer, mais je sais que je vais aussi bientôt oublier que je le sais. Je souris je ris je me fais peur à moi-même. Je sens que le combat entre moi et moi-même vas commencer. Ils vont pouvoir profiter du spectacle. Mais pas longtemps. Je l’attrape. Cette petite pilule. Et tout recommence. Pilule rose.  


 




Envoyé: 14:41 Thu, 21 March 2024 by : Turquin Noémie age : 18