Les jours sont tristes comme des artistes
ne laissant tomber
que des fragments incertains
On parle de morts jetés dans la Mer Noire
de pays qui n’existent presque plus
Pourtant si je m'abandonne un instant
aux sursauts de ma mémoire
je me souviens que nous étions au printemps
et que tout allait commencer et s’arrêter pour moi
Et soudain la dernière réminiscence
Et le mot n’est jamais tout à fait juste
car j’étais dans les derniers jours de mon enfance
et je laissais derrière moi pourvu que cela me sert
toute mon existence
S’arrêter
alors qu’on a toujours été en route
Et commencer ce dont on ne sait rien
Alors je fuis
Je me suis perdu à Florence
où les 9 pages du bateau ivre
pleurent sur les collines d’oliviers en étages
Les eaux vasardes de l’Arno
ont épandu Stendhal dans le brasier ardent
de la jeunesse et de l'art
Florence
ville en suspens
sur la gorge de Méduse
dans l’ancienne Renaissance
Je pense je pense
Je me souviens de mes ancêtres
qui se sont battus dans des déserts d'existence
Dépassés par leur temps loin de toute humanité
par l’enchainement tonnerreux des époques
et des guerres
J’ai versé ma parole puis leur mémoire
Je n’écris plus sans penser à eux
À Paris brule la Pharsale moderne
dort toute une insurrection
Je pense à mes vers
aux rues papillotées de grands aigles en or
à cette fille sur les quais de la Seine
mais surtout à mon pauvre cœur plus désœuvré encore
que ne l’a été mon enfance
J'ai dû faire le tour du monde des idées
Et pourtant
c'est que bat sous ma paupière le cadran d’une impossible horloge
qui a connu toutes les tournures du vers
Je dédie ce poème à ceux que tue notre époque
ce titre trop général
ces quelques lignes à peine finies
d'une jeunesse oisive en avance sur son temps
et en retard sur elle-même
Janvier - Mars 2023