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Rawil Zayn

Chère Isabelle Eberhardt

Chère Isabelle Eberhardt,

Une femme, une âme et bien davantage qui a débuté sa merveilleuse vie à lire dans l’ombre des chênes occidentaux, des romans et des mythes dont les pages s’illuminent de jasmin, de safran et des palmiers d’Orient. 

Le corps à Genève et l’esprit dans la Perse sultane, vous n’aviez que dix-sept ans lors de l’embarquement bouleversant pour Alger la ville blanche. Laissant pour derniers mots à l’Europe « je pars pour soûler ma tête folle ». Vous avez déambulé, visité et adoré les orangers, les oliviers, les nuits sucrées et les matins blancs avant de froncer les sourcils face aux conflits locaux, face à la conduite occidentale au sud méditerranéen. Indignée sans insolence, vous avez combattu l’impérialisme sur le modèle des rêves de grandes personnes. Vos cheveux désormais coupés à la garçonne couronnés d’un turban et le reste drapé à la manière des bédouins : vous êtes devenue Si Mahmoud. Une femme dissimulée en homme pour ne pas s’attirer les foudres de qui que ce soit, aidant le monde et devenant célèbre dans tout l’Oued pour sa grande générosité, gagnant la confiance du peuple en gravant d’encre les mémoires d’une nation berbère. 

Aux aurores et aux crépuscules, vous partiez déambulant comme un homme illustre vers le désert pour y trouver les portes du royaume des inspirations. Écrivant proses et quatrains à la lumière du soleil de vos aspirations. Guerrière littéraire et citoyen audacieux, le général Lyautey s’est épris de vous qui étiez selon ses mots « quelqu’un qui est vraiment soi, hors de tout préjugé, de toute inféodation, de tout cliché et qui passe par la vie aussi libérée de tout que l’oiseau dans l’espace ». Je dis que vous étiez libre, l’affranchissement coulait dans vos veines et l’irrévérence aux normes dans votre conquête du monde vous fortune. Symbole d’un féminisme militant pour les rêves du peuple, les vôtres ainsi que la paix de tous. 

À vos vingt sept ans, une tempête fait rage sur Aïn Sefra, incapable de quitter le domicile sans vos manuscrits vous restez sur place à leur recherche. Retrouvée sans vie six jours plus tard, partie ailleurs sur les traces prémonitoires de vos écrits antérieurs. Vous traciez votre poème intitulé Paradis des Eaux et disiez : « J’étais couchée sur de longues herbes aquatiques molles et enveloppantes comme des chevelures, je m’abandonnais aux visions nombreuses, aux extases lentes. Mon esprit quitta mon corps et s’envola de nouveau vers les jardins enchantés et les grands bassins bleuâtres du paradis des eaux ». 

Acceptez mes amitiés et mes respects, majestueuse femme de lettres, noble soldat pacifiste, âme aux multiples vies évoquant en moi l’écho du courage auquel j’aspire. 


 




Envoyé: 22:30 Sun, 12 December 2021 par: Rawil Zayn