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Rawil Zayn

Il incombe aux Succubes. Il succombe à l’Incube.

Il incombe aux Succubes. Il succombe à l’Incube.  

 

Un claquement de porte violent, je me suis réveillé en sursaut. Je n’attendais personne et je n’avais pas demandé à ce que l’on me réveille. Je marmonnais méchamment dans ma barbe quelques jurons à l’égard de cette maudite journée, de cet hôtel et du malin qui s’était trompé de chambre puis posais les yeux sur un paquet cadeau mordoré ceinturé d’un ruban coquelicot et accompagné d’une lettre posé sur la banquette. Je m’en approchais le visage fermé à peine réveillé et commençait par ouvrir la boîte : un costume brun, une chemise crème, une cravate jaune et un masque vénitien noir. Manque de goût, laid, démodé si tant est que ça l’ait déjà été. Je tirais avec désinvolture la lettre en dehors du ruban et décollait le cachet de cire doré non signé pour y lire : « Invitation solennelle à l’intention de Monsieur Stéphane, bal masqué, tombée de la nuit, Manoir des Colombes. Amitiés ». Un facteur pressé et impoli, des juxtapositions avares d’informations et d’encre. Je n’irai pas. 

Cette sieste m’avait reposé mais ne m’avait pas aidé à retrouver mon calme. J’étais toujours énervé d’être venu pour rien, comme toujours. Il semble que je sois vraiment tombé du ciel, malgré tant d’efforts, de démarches, mes parents restaient introuvables et ce depuis vingt-huit ans.

Décidé à purger cette énième frustration je descendais les escaliers grinçants en furie pour trouver le vieux Wilson, le réceptionniste. Il me fallait trouver quelqu’un à sermonner, j’étais énervé et cette fois je n’avais pas envie d’être compréhensif et courtois, je ne suis pas parfait. D’un coup, j’en ai eu assez et peut être était-ce une tentative de dissimuler une peine trop grande, le papier peint rouge de la chambre ou encore la fanfare incessante de St Ann Street mais j’ai fini par le trouver et lui hurler dessus avant de me mettre à pleurer. Il y a cette égratignure, cette cicatrice qui ne disparait jamais vraiment chez les gens comme moi et aujourd’hui, elle s’était rouverte il nous fallait la refermer. 

Il m’a amené un thé et m’a écouté parler des années passées à chercher des gens qui ne voulaient pas être trouvés. Il avait cette façon agaçante mais sympathique de sourire à mes paroles, ce sous-titre dans le regard l’air de penser qu’il me trouvait ingrat, il se moquait de mes problèmes mais en vérité qu’est ce que ça pouvait bien lui faire d’écouter les histoires d’un orphelin sûrement bâtard ? 

Il ne s’humiliait d’aucun bouleversement, du moins, ne le laissait pas transparaitre ; pas avant que je ne parle de mon invitation au Manoir des Colombes. Il s’est mis à s’agiter, bousculant un tabouret et une bouteille de vin, se griffant le bras en épongeant le sang aussi vite que possible. Se grattant l’arrière de la tête comme pour libérer quelques pensées, il me suggérait, minant l’insensibilité, de ne pas y aller, ce devait être une erreur. Dans un tourbillon de panique, il s’est mis à parler très rapidement de Marie Laveau, cette prétendue sorcière, prétendue morte, prétendue revenue d’entre les morts. Elle aurait prétendument, encore une fois, porté douze enfants d’un premier mari et sur les douze, pas un seul garçon. 

Déçue de ne pas avoir d’héritier, elle aurait eu une liaison avec Lucifer de laquelle serait né un fils : le fils du diable. L’enfant, d’après Monsieur Wilson, ou plutôt d’après rumeurs qui sifflent dans le Bayou, serait né corné, denté, monstrueux et Marie Laveau l’aurait assassiné et eut un autre fils, normal parait-il. Dès lors, Lucifer s’est mis en tête de venger la vie de son fils en volant celle de l’autre. 

Je l’ai regardé longuement avant d’éclater de rire, sornettes, bêtises sans nom, pensait-il vraiment que j’étais aussi crédule que ses autres clients ? Je lui ai dit que cela ne servait à rien de jouer la comédie, son commerce de talismans et colliers protecteurs ne m’intéressait pas, je le lui avais déjà expliqué : je n’y croyais pas. En revanche je le croyais volontiers sur la question du paquet mystère, peureux comme il est, s’il avait vu le facteur, il ne l’aurait pas laisser monter, enfin je pense. 

Sa frayeur mal dissimulée m’intriguait, il devait y avoir un lien avec le Manoir ce qui, je dois l’admettre, m’intriguait un peu. Et après tout, c’était une invitation nominative, qui sait ce que réservent les nuits de fêtes à la Nouvelle-Orléans ? J’ai décidé de reconsidérer cette invitation, et, je n’avais rien de prévu jusqu’au lendemain soir, je pouvais y faire un saut. 

Une fois remonté dans la chambre, j’appréciais un instant la vue de mon balcon : la rue n’était plus aussi agaçante qu’à mon réveil, non, c’était vibrant, appréciable, enjôleur et trompeur. Je levais la tête et me concentrais sur un balcon semblable au mien, derrière un rideau gris à demi-ouvert, j’avais vue sur une jeune caribéenne du nom égyptien Isis. Je pouvais la contempler des heures, jeune femme au teint parfait dont le cou délicat était  accessoirisé d’un serpent à sonnette noir qu’elle caressait du bout des doigts.  Balayant le parquet de sa longue jupe colorée, exhibant un encensoir de bois à des murs ornementés de peaux de bêtes et de sculptures d’Alkebulan, elle ne manqua pas de fermer le rideau brusquement en me fusillant du plus ensorcelant des regards noirs, me décrochant un sourire obligeant. Me résignant à l’ennui, je donnais une tape nerveuse sur la barre de fer qui me servait d’accoudoir à l’instant et lâchais un dernier regard vers la rue. C’était un beau monde. Il m’aurait plu d’en rester là. 

J’ai pris mon portefeuille, remis mon feutre noir puis je suis parti en ville à la recherche d’un masque vénitien qui m’irait mieux, il était hors de question de porter celui du paquet. Sur les coups de dix-sept heure je passais le pas de Face Segrete, une boutique haute en couleurs. Des masques multicolores tapissaient les murs me laissant penser que l’on m’observait et le sol était recouvert de dizaine de tapis à en cacher le carrelage, des présentoirs en fouillis, pas l’ombre d’un chat. J’essayais plusieurs modèles en me contemplant dans un miroir poussiéreux puis décidais de repartir avec un Volto doré. Je laissais quelques pièces sur le comptoir et ressortait me surprenant à sourire face aux spectacles de rues, à échanger quelques pas de danse avec des inconnues et à glisser quelques freesia blancs dans ma poche poitrine. C’était un trajet heureux et candide dans lequel les harmonicas me faisaient grimper sur les murettes et me susurraient que j’étais le personnage principal. J’étais de bonne humeur. 

Au carrefour de Chartres Street et de Jackson Square, à deux pas de l’hôtel, j’ai trébuché sur une canne. Me rattrapant à un lampadaire noir de fer ; je me retournais précipitamment pour poser le regard sur un homme aussi maigre qu’un clou et à l’âge indéterminable, oscillant entre la trentaine et la centaine, filé de rides à la dentition parfaite usant de la canne davantage pour le style que pour l’équilibre. Nous nous sommes fait face un instant, savant tous deux qu’il l’avait fait délibérément puis il a simulé un rire en jasant des excuses minables auxquelles je ne répondais pas. Je le scrutais, du haut de forme aux Richelieu une minute puis lançais ma drape cut par delà mon épaule avec dédain avant de continuer ma route. Après une dizaine de mètres, il sortait tout d’un coup de l’entrée d’un immeuble devant moi en riant « Nous n’avons pas été présentés », je reculais d’un pas en fronçant les sourcils, transpercé de mon incompréhension apparente. Dans son élan, il me tendait une carte de visite noire sur laquelle était écrite « Dr Salvador, spécialiste ». Je ne me présentais pas et me contentais de le bousculer par puérile vengeance avant de retourner, sourire aux lèvres, à ma chambre pour me préparer. 

Le ciel s’assombrissait et les lumières s’allumaient les unes après les autres. Déambulant gaiement dans la chambre, je sautais du tabouret au balcon au rythme du meilleur jazz qui soit, émanant des rues avec une telle puissance que les musiciens me laissaient penser qu’ils jouaient dans ma poitrine. Dansant de l’armoire à la salle de bain à la recherche d’une lame, d’une chaussette égarée en faisant tomber une fiole de parfum et des allumettes, je me préparais, me voyant défiler dans toutes les glaces au rythme des saxophones. J’étais excité, pressé, impatient et pourtant stressé. Que pouvait-on bien me vouloir ?

Un dernier coup de peigne dans mes cheveux difficiles, je laissais une mèche rebelle me retomber sur le front, enfilais le costume et la chemise que je ne trouvais finalement plus si laids, j’étais parti. 

J’entendais déjà la musique à la sortie du tramway, la nuit était verte, déserte, immobile et fumante. Suivant des panneaux encore ruisselant de peinture blanche « Manoir des Colombes », je n’avais croisé personne sur le chemin avant de m’avancer vers l’immensément grand portail blanc auquel je n’eus pas besoin de toquer, l’on me l’ouvrait déjà dans un grincement pénitencier. J’en profitais pour nouer rapidement mon masque sans même savoir s’il était droit. Deux hommes en smoking blancs, gantés, muets et dissimulés derrière des masques Larva blancs me faisaient une révérence de part et d’autre d’une allée interminable de pavés ivoires barricadée de Quercus Virginiana centenaires, je faisais quelques pas imperturbables avant de m’entendre penser et m’arrêter sèchement. Me retournant, j’objectais « Messieurs, cette entrevue me semble inconvenante je devrais probablement…» : ils avaient disparu, le portail était clos. Stupéfait, je pivotais quatre ou cinq fois, sourcils froncés, me répétant qu’un homme vêtu de blanc ne disparaît pas dans le noir. Désorienté, je lançais un coup d’oeil craintif vers l’allée brumeuse avant de m’y aventurer, j’étais dans le repaire des monstres. 

Sentant les pulsations sur le sol se faire plus fortes, j’approchais d’une bâtisse claire couverte de rosiers rouges, entourée de piliers, de balcons et de fontaines sculptées dont l’entrée se trouvait au sommet d’escaliers de marbre. J’observais le tout encore à moitié dans l’ombre quand un homme sortant lui aussi de la pénombre se pressa vers moi pour m’entraîner de son bras glacé vers la direction de la porte : « Allons mon bon ami, entrez donc, ne restez pas là ! » me criait-il ne desserrant pas l’étreinte de son bras cadavérique autour de ma nuque. Cette fraternité ne m’était pas familière et pourtant, cette voix ne m’était pas inconnue ; je tournais péniblement la tête pour voir son visage, devinant derrière un masque argenté aux touches de mauve, des yeux embrasés que je connaissais. Je me défaisais violemment de ses pattes d’escroc et reculais avant de l’entendre ricaner en mettant son index devant le sourire de son masque, regagnant l’obscurité de l’allée tournoyant sa canne au pommeau d’améthyste : Dr Salvador, invité lui aussi. Je me souviens avoir soupiré avant de continuer la route sous les regards et les chuchotements inquiétants de tous les convives du bal alors que les musiciens s’étaient volatilisés. La nuit était devenue étrangement calme. Je croisais doucement tous types de déguisements sur ce chemin silencieux : des Moretta, d’autres Larva, des Zanni à plumes, quelques Gnagna qui riaient de moi a capella, les Della Peste qui s’échangeaient des mots que je ne comprenais pas jusqu’à ce qu’un Pulcinella bossu tombé du balconnet me barre la route à l’entrée, me renifle de la jugulaire au coeur, puis crie « il est arrivé !! » en me levant le bras comme pour présenter un vainqueur. Je ne comprenais pas mais au bonheur de la foule qui se remettait à danser je ne pouvais réprimer un sourire, se pouvait-il que tout ce monde soit en fait ceux que j’ai cherché toute ma vie ? Mettant cette interrogation de côté dans un coin de mon esprit en fête, j’entrais finalement dans l’enceinte de l’immense maison blanche et me retrouvais dans la réception la plus extraordinaire qu’il m’eut été donné de voir. C’était un palais cabaret de cuir, d’or, de tapis, de plumes, de dentelles, d’alcools, de musique et de femmes dont je rêvais de retirer les masques. J’avançais dans le grand salon au milieu duquel les musiciens soufflaient dans les saxophones du haut des bars invitant tout le monde à danser. Ils étaient les seuls à ne pas être masqués, ils en profitaient pour fumer des cigarettes et m’adresser des sourires. Eux aussi savaient qui j’étais apparemment, c’était invraisemblable. Je parcourais les salles à la recherche de quelqu’un que je pensais reconnaitre en le croisant, quelqu’un à remercier, quelqu’un à qui m’abandonner car à cet instant, j’avais foi en quelque chose. Ne faisant que croiser des jouvencelles riantes aux éclats et me prendre les pieds dans leurs jupons à chaque bout de couloir, je m’asseyais sur une causeuse du troisième étage pour allumer à mon tour une cigarette. Installé confortablement, crachant l’épaisse fumée les yeux clos, je les rouvrais doucement pour sursauter face à un énorme masque blanc couvert d’une couronne de glace scintillante ressortant de la fumée que je venais d’expirer. Je mettais mon souffle en suspens et contemplait non sans crainte ce gigantesque visage androgyne aux yeux ébènes indiscernables. Après un moment de silence, il leva la main jusqu’à l’arrière de ma tête pour défaire le noeud de mon masque; c’est lorsque la boucle se désentortillait dans sa presqu’intégralité qu’une toux raisonna dans le couloir et que le curieux, pris de peur, se dérobait dans un bruit de cape par la fenêtre aussi discrètement qu’il était apparu, tel un intrus. Je me relevais et courait vers la fenêtre à la recherche d’un indice mais personne ne détalait dans les jardins, je demeurais penché à la balustrade transi de peur quand soudain j’entendis le mielleux murmure féminin : « Sauve-toi » tirant son origine du dessus de ma tête. Une goutte glacée perla ma nuque et je me tordais le cou lourdement jusqu’à avoir la vue sur l’être nivéen terrifiant à la couronne en fonte qui me surplombait tel un gigantesque insecte cramponné à un mur laqué. Dans un élan de curiosité ou de folie j’approchais mon bras à mon tour pour voir qui se cachait derrière cette identité indéterminable, je n’eus pas le temps de toucher le masque que l’on me tirait violemment par le col à l’intérieur du couloir. 

Après je ne sais trop combien de temps, je me suis réveillé sur un fauteuil en plein milieu de la salle de bal, engourdi, endolori : on m’avait agressé. J’étais maintenant sûr, cet enfant, ce mystérieux fils ennemi du diable, c’était moi, et j’étais chez lui. 

Je me redressais vite en essuyant, d’un mouchoir brodé, le filet de sang qui s’était écoulé de ma tempe et le reposais sur une table basse réfléchissant à mon évasion avant de m’arrêter nettement comme drogué sous les yeux d’une jeune femme belle comme le jour. Ce fut comme un rêve, elle s’est présenté telle qu’Angelica St James, nous avons parlé, longtemps je crois sans trop me rappeler de quoi maintenant. Envoutante, hypnotisante dans sa robe de tulle carmin aux propriétés de résilience. J’oubliais les incohérences, les intrigues et les colères noires : elle était la réponse muette et bleue à toutes les questions informulées, c’est pourquoi je l’ai suivie, l’univers entier en cornée, dans ce qu’elle appelait « les jardins des ombres ». Elle marchait devant moi, me traînant comme un imbécile jusqu’à atteindre la porte puis couru au bord de l’eau en m’invitant du regard à la suivre. Je ne m’en méfiais étrangement pas et au risque de passer pour l’amoureux aliéné, je dissimulais autour d’elle une clarté, une lumière solaire, ivoirine, une lumière de paradis au milieu des ombres.  

Laissant tremper ses pieds dans l’eau vivante et verte du bayou, elle me regarda longuement avant de me saisir la nuque et me dire avec la voix de Docteur Salvador « perte de temps » pour ensuite plonger ma tête sous l’eau vaseuse. 

J’ai du perdre connaissance un long moment, j’ai repris mes esprits au matin, dans ma chambre d’hôtel, vêtu d’un peignoir. Je tombais du lit, encore un réveil agréable. En ouvrant les yeux j’apercevais sous le sommier, plein d’algues,  mon masque. Je n’avais pas rêvé, grâce au ciel j’étais en vie mais je devais comprendre. Je me suis rincé le visage à l’eau glacée avant de tressaillir à la vue, du fond de service de toilette, gisant, le masque que je pensais de glace. L’instant d’après, la porte de l’armoire grinçait et j’entendais, de légers bruits de pas. Je pensais à une autre ruse de Dr Salvador et fermais les yeux, prêt à respirer pour la dernière fois, remerciant Marie Laveau de m’avoir protégé tout ce temps et m’excusant de l’avoir traquée. Soudainement, une morsure me fit crier : c’était le serpent, le serpent d’Isis m’avait mordu. Me regardant avec ses yeux aussi noirs et insensibles que l’enfer, elle essuyait les narines de son lézard répugnant et rétorquait « je le savais ». Dans l’incompréhension je la regardais, gêné que ceci soit véritablement notre premier dialogue. Elle se mit à rire puis, glissant le serpent dans sa manche, elle m’expliquait qu’elle savait que ce n’était pas moi que les démons cherchaient. Elle me racontait que c’était elle sous le masque blanc, m’incitant à fuir. J’ai vociféré quelques insultes en gardant la main sur mon épaule ensanglantée, lui criant qu’elle aurait pu m’en informer sans m’infliger une blessure. Elle retirait ma main de la plaie d’un mouvement léger puis m’appliquais un onguent bleu : « tu sais, riant de la situation, le fils de Marie Laveau a le sang noir, toi tu n’es personne».

Je suis parti dans les minutes suivantes, décidé à ne pas la croire, je marchais énervé en direction du Manoir des Colombes, dans le coeur, la gigantesque envie d’appartenir à quelque chose, d’être quelqu’un. J’arrivais au nord et retrouvais les panneaux qui m’avaient guidés la veille, ils n’avaient plus de peinture, indiquaient tous la mauvaise direction, semblaient avoir pris cent ans. Je retrouvais finalement l’allée des Quercus Virginiana sans portail, sans maison blanche, sans marbre. Je comprenais finalement la duperie, je pensais pourtant avoir trouvé, j’en étais si sûr. Revenir au diable ne m’importunait pas tant que je revenais à quelqu’un. 

Dans ma frustration je donnais un coup de pied dans un tas de graviers blancs en direction de l’allée et déclenchais une bourrasque poussiéreuse, des feuilles volaient tout autour de moi en m’aveuglant. Le vent violent chantait dans mes oreilles avec des voix de choeur jusqu’à ce que je me sente grandir et m’affiner. Mes mains se flétrissaient à vue d’oeil se resserrant autour de la canne au pommeau violet et une pile de cartes noires s’empilaient dans mes poches, apeuré je m’avançais vers une flaque de pluie pour voir se refléter, à mes pieds, le visage de Dr Salvador. Je saisissais la canne et scrutait son intérieur pour y voir tous les convives masqués du bal, enfermés à l’intérieur de cette boule, l’abominable Pulcinella, sorti de nulle part une fois encore, s’est approché de la vitrine en s’agitant caustiquement. Médusé, j’ai laissé tomber la canne et, sous le rire ténébreux et traître d’une entité insubstantielle, une fumée noire s’échappait des milliers d’éclats de pierre éparpillés sur le sol humide. 

Je levais mes yeux noyés de sel vers les nuages fades que je détestais encore plus que la veille et contemplais d’une inquiétude fascinée, Lucifer virevolter au dessus des rues du Vieux Carré, faire demi tour, descendre puis remonter emportant Monsieur Wilson dans un hurlement glaçant, témoin d’une vie d’appréhension de cet instant. 

C’était donc lui l’homme au sang noir, pas moi. Moi, je suis devenu un autre, sans n’avoir jamais été personne. 

 

 

Dr Stéphane.


 




Envoyé: 22:35 Sun, 12 December 2021 par: Rawil Zayn